« La lutte des intermittents est une leçon pour l’ensemble du salariat »

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« La lutte des intermittents est une leçon pour l'ensemble du salariat (...) (cip-idf)

Sociologue, membre du Réseau Salariat (éducation populaire) et de l’Institut Européen du Salariat (recherche universitaire), Mathieu Grégoire est l’un des observateurs de l’importante mission officielle de concertation sur les intermittents qui a débuté en juillet dernier.

Ces discussions peuvent-elles déboucher sur l’invention de nouveaux droits pour les salariés ?

Regards. Le week-end dernier, vous avez été invité à l’Assemblée générale des coordinations des intermittents et précaires qui s’est tenue à Dijon. Dans quel état d’esprit sont les intermittents ?

Mathieu Grégoire. En 2003, le mouvement avait été beaucoup plus fort pendant l’été, mais il s’était vite essoufflé ensuite. Il me semble que l’objectif de maintien d’une mobilisation sur la durée est atteint.

Les intermittents ne cessent de dire que ce n’est pas leur régime qu’ils défendent, mais l’augmentation en flèche de la précarité qu’ils souhaitent voir endiguer. Cela semble bien ambitieux…

La marque de ce mouvement est bien là : ce que les intermittents défendent, ils le défendent pour tous. Il faut regarder de près ce qu’ils entendent par « pour tous ». Entre 1996 et aujourd’hui, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en activité réduite, ceux qui cumulent emplois et chômage, est passé de 500.000 à 1,7 million. L’arrivée de ces « intermittents hors spectacles » a pris une ampleur nouvelle. Sur la même période, le nombre de chômeurs qui ne travaillent pas du tout est resté dans l’étiage des 3 millions. Toutes catégories confondues, ce sont donc plus de cinq millions de chômeurs qui sont inscrits à Pôle emploi. Et nous savons qu’il y a bien plus de chômeurs et de précaires que ceux qui sont recensés. Dans ce contexte, les intermittents cherchent donc à signifier que, la solution n’est pas forcément de promettre le CDI pour tout le monde mais de penser des droits nouveaux pour tous les salariés à l’emploi discontinu.

« La mobilité se situe uniquement dans le champ des revendications patronales, elle est subie par les salariés »

Qu’entendez-vous par « emploi discontinu » ?

Le combat des intermittents incite à nous interroger sur la sacralisation du plein-emploi que notre inconscient collectif a érigé en horizon ultime. Quand le candidat Hollande dit « le plein-emploi à tout prix », on peut se demander sur ce qu’il entend par « à tout prix ». Au mieux, il s’agit d’une promesse pour demain. Les intermittents bénéficient aujourd’hui d’un modèle progressiste basé sur un emploi discontinu, mais avec un salaire qui, lui, est continu. En défendant leur régime d’indemnisation, les intermittents n’ont cessé de se battre pour que l’instabilité de leur emploi ne signifie pas précarité de leurs revenus et de leur protection sociale. Ce modèle de droits étendus est une esquisse pour repenser les droits au salaire continu pour tous les salariés. Il porte des valeurs émancipatrices, y compris pour les salariés permanents.

En quoi ces salaries permanents sont-ils concernés ?

Eux aussi vivent avec l’épée de Damoclès du chômage. Le fait d’avoir un autre horizon que celui bloqué par la falaise de la précarité, leur permettrait de changer le rapport de forces avec le patronat. La contrainte de la subordination serait desserrée ainsi que la peur des aléas du marché du travail. Aujourd’hui, la mobilité se situe uniquement dans le champ des revendications du camp patronal, elle est subie par les salariés. Si elle était sécurisée, la mobilité pourrait être choisie. Cette lutte concerne donc tous les salariés dont les droits sont constitués depuis 1945 sur l’idée d’emploi stable. La question est donc de réadapter l’ambition des fondateurs de la Sécurité sociale et du Conseil national de la résistance. En continuant à inventer de nouveaux droits de manière offensive, la lutte des intermittents est une leçon pour l’ensemble du salariat.

Les luttes menées au début de l’été ont découlé sur une série de réunions de concertation entre trois médiateurs du gouvernement, les coordinations des intermittents, les syndicats, le patronat et des observateurs, comme vous. Peut-on considérer que le dialogue est rouvert ?

Le premier ministre a mandaté les trois sages pour mener la concertation : Combrexelles, Archambault et Gille. Il leur a demandé de faire des propositions au plus tard en décembre. L’idée affichée est de trouver une solution pérenne à cette question des annexes 8 et 10. Ces trois sages consultent, ils se feront l’écho des consensus qui pourraient se dessiner, et j’espère qu’ils ne s’interdiront pas de faire des propositions. Pour la première fois, les organisations dites représentatives à l’Unedic ont accepté de dialoguer avec d’autres organisations non représentatives juridiquement, mais qui politiquement ont un poids réel. Il s’agit à la fois d’employeurs du spectacle qui refusent d’entrer au Medef, d’organisations syndicales comme l’Unsa et de la Coordination des Intermittents et précaires. La CGT était là bien évidemment.

« Dire « Ce qu’il faut, c’est des CDI pour tous », c’est le degré zéro de la réflexion sur l’intermittence et de l’invention de nouveaux droits pour tous les salariés »

Ces rencontres reprendront le 18 septembre, jusqu’en décembre. Sur quoi peuvent-elles déboucher concrètement ?

Aujourd’hui, j’avoue que ce processus me semble indéterminé. À chaque grand mouvement des intermittents, en 2008, en 2003, une fois que les accords ont été signés, il y a eu des moments de consultation de ce type. En 2004, le rapport Guillot avait déjà mobilisé tout le monde. Est-ce que des solutions pérennes seront trouvées d’ici au mois de décembre pour consolider la notion d’emploi discontinu ? L’histoire nous le dira. Personne ne sait où nous allons, ni si nous allons déboucher sur quelque chose. J’espère que nous n’accoucherons pas d’une souris.

Il est difficile d’imaginer que le Medef et la Coordination des intermittents puissent dialoguer…

Nous avons commencé par aborder les questions qui ne fâchent pas et à élaborer des éléments de langage communs. Le jeu de la Coordination des intermittents et précaires et de la CGT est d’élargir le débat sur la question de l’emploi discontinu. Cela provoque des malentendus dans la mesure où le Medef et la CFDT ne veulent même pas discuter des annexes 8 et 10 puisqu’ils ont trouvé un accord entre eux deux. Donc parler plus largement du salariat, ce n’est pas leur souci. Ils sont là pour discuter de ce que l’État pourrait faire pour les intermittents par ailleurs.

Ces problèmes de définition de l’emploi précaire ou discontinu semblent centraux, et significatifs de profondes divergences dans les façons de les aborder…

Un leitmotiv m’a frappé dans les discussions : l’intermittence en elle-même serait un problème et la seule solution serait la permanence. Je ne parle pas de la CGT ni de la Coordination. Lors de la séance sur la précarité, il n’a été question que de cédéisation de ceux qu’on appelle les permittents. Il s’agit des intermittents qui n’ont qu’un employeur pour lequel ils travaillent toute l’année. Le cas qui revient tout le temps est celui de la production audiovisuelle de flux (les séries, les émissions récurrentes, etc). Là où, a priori, il existe une continuité dans la production. Ce n’est pas le cas du cinéma. Chaque film est produit de manière singulière ; à la fin d’une production, on dira toujours aux intermittents : « Merci et au revoir ». Les employeurs discutent de structuration de l’emploi dans les branches. Mais ceux qu’on désigne comme précaires chez les intermittents, ce sont ceux qui ont du mal à faire leurs 507 heures et qui alternent entre l’intermittence et le RSA. FO a une position encore plus radicale. Il propose de se battre contre l’intermittence et dit : ce qu’il faut c’est des CDI pour tous. Pour moi, c’est le degré zéro de la réflexion sur l’intermittence et de l’invention de nouveaux droits pour tous les salariés.

Que pensez-vous de la nomination de Fleur Pellerin ?

Rien. Tout est à recommencer. J’avais le sentiment qu’au moins, sur le terrain des idées, du diagnostic, de la compréhension de ce qu’il se passait avec les intermittents, mais aussi sur le fait que les réformateurs de l’assurance-chômage avaient véhiculé un grand nombre d’idées fausses dans les médias, c’était un peu gagné avec Aurélie Filippetti. Avec Michel Sapin également. Il avait enfin expliqué devant les députés que le déficit de l’Unedic n’existait pas et que c’était bien une vue de l’esprit. Je ne sais pas quelle est la connaissance du dossier de Fleur Pellerin.

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Jérémie OZOG, COM‘9

 

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